samedi 17 janvier 2015

Maurice G. Dantec : “BLOY EST VIVANT ET NOUS SOMMES MORTS”

Léon Bloy


Un jour, pour la première fois de ma vie, j’ai lu un livre de Léon Bloy.
Le jour d’avant je ne le connaissais pas, sinon – comme on dit – de réputation.
Le jour d’après, je n’étais plus le même homme.
Le hasard – pour ceux qui croient à ce dieu d’horloger helvétique ‑ voulut que ce livre fut sa fameuse Éxégèse des lieux communs, alors que j’en étais venu, dans un travail parallèle à celui de romancier, à redécouvrir par moi-même, et avec toutes les tragiques erreurs dont l’autodidacte est capable ‑ par l’inconscience des limites et donc sans la peur ancestrale qui s’y adjoint ‑, l’usage ô combien martial de l’aphorisme et du court texte critique.
Cette année là, nul ne peut dire ce que je serais devenu sans cette lecture, mais ce qu’il y a de sûr, c’est que comme tous les hommes vivant en Occident à cette époque, j’étais déjà un Bourgeois.
Je vois d’un coup se cabrer la pensée ténébreuse qui, tel un centaure fulminant sorti du volcan dans lequel Empédocle se jeta, fait entendre son hennissement furieux, et stupéfait. Comment ? Un auteur, qui plus est étiqueté cybermachin ou réactionneur métatronique par la presse aux ordres du langage publicitaire, un auteur, un écrivain francais ose s’affubler lui-même du pire costume jamais taillé en ce bas monde pour recevoir le crachat salutaire de la foule ?
Voilà une introduction pour le moins suicidaire, et qui ne risque pas de porter chance à un homme dont le plus grand mérite semble être de s’attirer le mépris haineux et fort constant des chiens de garde de la critique contemporaine.
Mais même si de beaux esprits iront jusqu’à se fendre de je ne sais quel hystérique tressautement de bedaine qu’ils osent parer du nom de « rire », ils ne pourront empêcher les écrivains de poursuivre leur petit manège promo-contestataire, et ils ne pourront empêcher ce fait incontestable que eux, comme nous, et comme tous les autres, nous sommes des Bourgeois.
Car nous sommes tous des Bourgeois. Et tout particulièrement nous, les « écrivains », qu’on me pardonne de rappeler encore une fois cette méchante évidence. Quelque soit au demeurant notre « succès », ou notre « talent » c’est-à-dire, soyons clairs, dans ce monde qui est en effet dominé par l’esprit tutélairede la marchandise, notre «  chiffre de ventes », nous ne pouvons échapper à l’implacable ontologie qui fait de nous ce que sommes.
Nous sommes tous des Bourgeois. Car nous sommes tous des Produits de la Bourgeoisie. Et il est rare que nous osions ne pas nous en féliciter.
Il y a un siècle, Léon Bloy avait très justement su saisir et définir le Bourgeois non pas comme le représentant différencié d’une classe sociale particulière, mais comme une nouvelle typologie générale de l’humanité, comme le moment même où l’humanité pouvait se réduire à cette typologie.
En cela, et toute l’Exégèse est fondée sur cette intuition de voyant : sans en avoir le moins du monde conscience, le Bourgeois profère, à chacun des lieux communs qui encombrent son langage dominé par l’économie, une vérité fondamentale sur la nature humaine, et mieux encore sur la Nature Divine.
La cause de cette étonnante glossolalie à laquelle le Bourgeois se livre quotidiennement se résume précisément, et c’est tout le génie de Bloy d’avoir su mettre la chose en évidence grâce à sa haute connaissance de la Tradition scripturale, au fait essentiel que l’Argent n’est autre chose que l’image réelle de la Seconde Personne de la Trinité, l’Argent est le Sang des Pauvres, le Sang du Christ, il est à la fois l’outil du sacrifice et son but, il est – comme le dira Klossowski quelques décennies plus tard ‑ la Monnaie Vivante, l’Argent, ou plutôt l’Or, dont il n’est que la face matérielle, la face correspondant à l’Adam de la Chute, est l’incarnation secrète du Crucifié dans le Monde : « Il est probable, cependant, que ce mendiant était Jésus-Christ dont c’est le travestissement ordinaire et qui est signifié symboliquement par l’argent dans les divines Écritures ‑ c’est moi qui suis l’Argent, te dira-t-il un jour, et je ne te connais pas. »
Les marxistes croyaient alors que le prolétariat était la substance et l’avenir des « masses sociales ». Comme en ce qui concerne les autres points de leur doctrine, ils se trompaient lourdement là dessus. C’est le « moyen-bourgeois semi-pauvre » qui est devenu le futur de l’humanité, c’est à dire la substance de notre époque. Et cet apocalyptique fatum, Léon Bloy, bien des années avant la guerre de 14-18 – qui allait  confondre une première fois la démocratie, la confondre mais non pas l’inculper ‑ , Bloy disais-je, en avait deviné l’asphyxiante réalité, il en avait indiqué les termes : Le Bourgeois  achevé, nul autre que le « dernier homme » nihiliste de Nietzsche, est à ce point dominé par la Technique et ses métaphysiques, qu’en lui « le langage s’est réduit à quelques locutions patrimoniales qui lui suffisent » et « dont le nombre ne va guère au-delà de quelques centaines ».
Mais Bloy s’empresse d’ajouter aussitôt : « Ah si on était assez béni pour lui ravir cet humble trésor, un paradisiaque silence tomberait aussitôt sur notre globe consolé ! »
Il signifie bien par-là que cette terminaison du langage humain, telle qu’elle se révèle dans le langage « économique » du Bourgeois, n’a d’autre alternative qu’un « paradisiaque silence », autant dire le Silence initial de Dieu, le Silence de l’Abîme tel qu’à partir de lui Dieu put concevoir tous les Noms, dont le Sien.
Aussi le cliché du Bourgeois est bien évidemment l’expression révélatrice d’une forme de génie, comme tout cliché (Baudelaire nous rappelle fort à propos cette évidence oubliée que le génie c’est l’invention du cliché). Mieux encore, il est le cliché suprême puisqu’il surgit du langage réduit à sa fonction « économique », technique, immanente, cliché des clichés il masque en fait la terrible absence paradoxale de Dieu, cette Présence Ineffable, il révèle par sa simple « existence » l’irréfragable et monodésique lumière des Vérités ultimes, qui consumeraient les cerveaux de ceux qui les profèrent si jamais ces derniers se trouvaient dans la capacité de savoir qu’ils le font :
« Quant un employé d’administration ou un fabricant de tissus fait observer par exemple : « qu’on ne se refait pas; qu’on ne peut pas tout avoir; que les affaires sont les affaires, que la médecine est un sacerdoce; que Paris ne s’est pas bâti en un jour; que les enfants ne demandent pas à venir au monde; etc, etc, etc, », qu’arriverait-il si on lui prouvait instantanément que l’un ou l’autre de ces clichés centenaires correspond à quelque Réalité divine, a le pouvoir de faire osciller les mondes et de déchaîner des catastrophes sans merci ? ».
Dans son éxégèse LXVII, intitulée  « je ne suis pas un domestique qu’ on nourrit », Bloy ose commettre un crime impardonnable à l’encontre de l’homme de gauche déjà universel de son époque, cet acte tabou consiste à dégonfler la baudruche de la contestation socialiste, c’est-à-dire néo-bourgeoise; il ose en effet y affirmer, avec la force de conviction qu’on lui connaît, contre tous les préjugés de sa société, et contre tout ce qu’on pouvait attendre de lui, que le bourgeois n’est pas le représentant d’une classe sociale déterminée mais un modèle humain universel, ou plutôt le moment où ce modèle devient l’Universel, voici ce qu’il dit à ce sujet :
« J’étais impatient d’y venir. C’est à ce Lieu commun que viennent aboutir tous les filaments, toutes les filandres de pensées ou de sentiments dont se constitue l’âme du Bourgeois pauvre. C’est à ce signe qu’on peut reconnaître le monstre. Car il existe, sorti de la vase, lui aussi, pour dévorer le Bourgeois riche, aussitôt que prendra fin la septième semaine d’abondance. »
Et il ajoute, non sans une jouissive méchanceté :
« Il a le genre de laideur de Barrès auquel il ressemble avec une addition de crasse. Bonne éducation belge et muflisme aigu. En outre, prétentions à la pensée et à une sorte d’omniscience. »
Le Bourgeois pauvre c’est déjà le Bourgeois-artiste que Bloy carbonise avec bonheur dans plusieurs autres éxégèses (comme XXVIII, « être poète à ses heures », CII, « encourager les Beaux-Arts », CIX, « petit à petit l"oiseau fait son nid ») ce Bourgeois à mi-temps, ce Bourgeois vacataire, ce Bourgeois de troisième type, ce Bourgeois-à-la-pige, ce Bourgeois anti-Bourgeois, ce Bourgeois-rebelle, ce Bourgeois-poète, peintre ou écrivain, et bientôt cinéaste, musicien, plasticien, ce Bourgeois intellectuel par intérim, journaliste du dimanche, philosophe de salles de bains (je reste suave et poli), nous l’avons tous reconnu, c’est nous-mêmes, ce qui n’était encore qu’une tendance socio-politique parmi d’autres à l’époque de Bloy est devenu l’instance suprême du monde démocratique post-moderne, sa substance et son télos.
Voyons de plus près comment Bloy achève son portrait à coups de trique verbale :
« On est informé tout de suite qu’il sait assez de grec pour traduire au besoin le code civil ou la table des logarithmes en vers asclépiades ou choliambiques. Il ne sait pas moins d’hébreu et le syriaque n’a guère de secrets pour lui. Quand au sanskrit, c’est plutôt sa langue. Il ne fait, d’ailleurs, aucun usage de ces connaissances précieuses et on s’en étonne. Mais il ne veut pas éblouir, c’est assez qu’on sache qu’il les possède. »
Le Bourgeois pauvre, ou semi-pauvre, ce Bourgeois cultivé et instruit, armé de toute la philosophie allemande contemporaine, et de morceaux de langages, de langages en morceaux, ce Bourgeois devenu parasite social de la Bourgeoisie, n’en était alors qu’à sa gestation, ou disons à sa toute récente parturition, mais  au cours du XXe siècle il finirait par se rendre maître de la planète, en l’ayant transformée à son image : un immense réseau de signes et de marchandises, un corps réduit à son état de prothèse technique potentielle (clonage, mutations transgéniques, biocybernétique), un cerveau concu comme « siège de l’esprit » et comme « machine cognitive » (telle une intelligence artificielle fonctionnant au silicium et aux algèbres booléens), le monde devenu un simulateur de pointe. Le projet révolutionnaire est désormais assumé pleinement par la démocratie technicienne, et s’offrant comme tel au regard de l’Homme, il lui indique que l’expérience biopolitique moderne n’en est qu’à ses prémisses : bienvenue dans l’eugénisme cool, avortement de masse et clonage réplicatif au service d’une « société » complètement dissociée, puisque non seulement le christianisme y est dissous depuis longtemps, mais parce que il ne s’écoule pas une demi-génération pour qu’un nouvel humanisme (aujourd’hui le « post-humanisme ») chasse le précédent (l’humanisme structuraliste et psychanlytique qui lui même s’était subsitué à l’humanisme moderne, marxiste, ou libéral), à la manière dont les avant-gardes artistiques artistiques et manifestatoires (tels Breton et Debord) se sont chassées les unes les autres tout au long du XXe siècle.
Au moment où Bloy commence à s’en prendre à elle, la République Universelle des Droits de l’Homme n’est pas encore pleinement installée aux commande de l’orbicule terrestre, mais, dans sa faconde prométhèenne, elle a d’ores et déjà décrété que telle serait sa charge désormais, produire un citoyen démocratique mondial techniquement globalisé, car tel est le destin de l’humanité.
L’humanisme moderne triomphait au sommet d’un siècle qui avait précisément été surnommé le « siècle bourgeois » par excellence, le siècle de la pensée bourgeoise, le siècle de la vie bourgeoise, le siècle de l’univers bourgeois, à tel point que les prolétaires en révolte contre le Moloch démocratique – mais pour le compte d’un autre Moloch, encore plus démocratique – ne surent quoi faire de leur prétendue « liberté » retrouvée, comme à Munich, ou durant la Commune de Paris, et que lorsqu’il parvinrent à prendre le pouvoir en renversant l’ancienne autorité, ainsi à Petrograd en 1917, ils ne purent qu’imiter, en l’exaltant, la pensée bureuacratique et pompière de la bourgeoisie dont ils recréaient, multipliées à l’infini, les aberrations rationalistes sur les charniers et les famines collectivisées par le Parti Communiste.

Déjà, à l’époque où Bloy avait décidé de se porter volontaire pour la Sainte Croisade contre la Bêtise Universelle, déjà, en cet âge funeste qui enfanta le nôtre tel un monstre gravide de toutes les perversions futures, oui, déjà, alors qu’on inventait la lampe à incandescence, le téléphone, et la mitrailleuse lourde, déjà, une colonie de madrépores infects baignant dans l’eau croupie de la néo-pensée universitaire et journalistique empestaient l’atmosphère au demeurant fort viciée de la Capitale de tous les miasmes convolutés leur tenant lieu d’ « opinions » et, bavant leurs idiomes souffreteux, répétaient tels des coucous d’horloge l’aphorisme terrible d’un philosophe allemand auquel ils ne comprenaient rien, et qu’ils ne comprennent toujours pas cent ans plus tard, l’impérissable «  Dieu est mort » de Friedrich Nietzsche.
Déjà à l’époque, ces soudards mercenaires de la pensée bourgeoise, plongés qu’ils étaient dans l’urinoir recueillant les effluves qu’exécraient leur vessie, gonflée comme une outre de tous les graves problèmes engendrés par leur ascension sociale, s’étaient crûs autorisés à manipuler le langage hautement dangereux du danseur métaphysique de Sils Maria, comme si l’on pouvait confier du plutonium à un instituteur de la République, ou à un journaliste de Technikart, déjà à l’époque l’incompréhension et l’effroi devant ces trois mots terribles avaient conduit certaines de ces raclures de vomitoire à les considérer, avec l’aplomb qui caractérise le cuistre impotent, comme l’expression d’on ne sait trop quel « dandysme athée » et à les assimiler frauduleusement avec la quinquaillerie romantique, voire, pour les plus irrécupérables crétins, à l’hédonisme libertin !
Pour l’époque qui avait tué Nietzsche (il faut tuer une pensée si l’on veut pouvoir s’en nourrir, comme le pense le mécaniste vampire démocrate, alors que toute authentique pensée se nourrit de vous, vous aspire de l’intérieur et vous vide), pour le Bourgeois de 1900 donc, le Bourgeois républicain, radical-socialiste ou « conservateur » positiviste, et plus encore pour le néo-Bourgeois socialiste, ou anarchiste, l’assertion de Nietzsche ne pouvait être entendue qu’au crible morveux présenté par leurs misérables circonvolutions cérébrales à cet oriflamme de la Vérité, Dieu est mort : sous-entendez : tant mieux ! Enfin débarassés de ce patriarche encombrant ! Et maintenant, chacun pour soi.
Déjà, à l’époque, personne n’avait voulu ou su lire les pages du Gai Savoir ou de Zarathoustra qui pourtant ne laissent aucune place au moindre doute. Si Nietzsche conclut 25 siècles de métaphysique occidentale en dégageant comment, et pourquoi, le nihilisme est le moment historial qui caractérise l’avénement de l’homme-pour-lequel-Dieu-est-mort, et s’il démontre que du nihilisme passif peut encore surgir une force de dépassement qui conduit au nihilisme actif, à un dépassement de la métaphysique par ses fondations présocratiques (ce qu’on pourrait appeler une ontologie concrète), il n’en reste pas moins vrai qu’à chaque fois qu’il fera allusion à ce concept de la mort de Dieu, il témoignera pour lui de l’avénement d’une immense tragédie, de la dernière tragédie à laquelle l’homme se trouve confronté et dont les conséquences pèsent sur tout son développement futur . Jamais, pour Nietzsche, comme il le fait dire à son Zarathoustra, jamais un malheur plus grand n’est survenu sur la Terre.
Et c’est très exactement ce que disait le très catholique Léon Bloy à la même époque, lui qui épuisa sa vie entière à faire jaillir de son écriture la Vérité de l’Écriture au milieu de l’infâmie générale qui déjà programmait les immenses abattoirs industriels de la modernité absolue, lui qui consuma son existence dans la pauvreté et le travail, et qui, touchant des salaires de misère comme professeur de boxe, ou mendiant quelques sous à son entourage, afin d’élever une famille, et l’enfant d’une femme terrassée par la folie, parvenait, à l’heure où le Bourgeois dort, à produire les plus hautes pages de style francais de tout son siècle.

Un jour, j’ai lu Léon Bloy.
Je venais à l’époque de m’installer au Canada. L’Exégèse des lieux communs m’avait happé, et en quelques semaines je dévorais la quasi totalité de son oeuvre. J’arpentais les bouquinistes, je hantais les librairies, je traquais les incunables. Tel l’insecte héliotrope je me dirigeais droit vers la lumière qui devait me consumer.
Il est sans doute imprudent d’oser déterminer la provenance de la Grâce, quand elle tombe sur vos épaules comme le souffle lumineux d’une étoile alors invisible. Il n’est pas dans mes cordes de statuer sur la profondeur du phénomène, sur son intensité propre, sur son horizon destinal ou sur sa singularité initiale, justement parce que ce processus est toujours en cours à l’heure où j’écris ces pauvres lignes, et que déjà il me condamnait au silence à ce sujet, mais s’il faut appeler les choses par leur nom, et pour un instant déchirer le Saint Voile du Temple, il est tout à fait évident que Léon Bloy eut une importance décisive pour tout ce qui concerne ma conversion au christianisme.
Je ne sais si des écrivains de ma génération peuvent prétendre avoir découvert leur « vocation » littéraire par un auteur tel que lui, je suis dans l’incapacité de citer un écrivain francais contemporain que je pourrais d’une facon ou d’une autre rattacher au Mendiant Ingrat, je veux dire et que l’on comprenne bien ici l’évidence : au-delà des postures et impostures littéraires. Car chez Léon Bloy, le feu du style est animé par une unique énergie : il est animé par la foi.
Par la foi en la Sainte Église Apostolique et Romaine, par la foi en Jésus-Christ.
Fustiger le « Bourgeois », y compris en se servant des sublimes « clichés » que seul un authentique génie comme Bloy pouvait inventer, ne revêt strictement aucun sens tant que l’on reste soi-même un Bourgeois. Et il ne peut subsister aucun doute à ce sujet : En cette époque, la nôtre, où tout le monde a fait des études, où tout le monde est athée, ou tout le monde est positiviste, et républicain (socialiste ou conservateur), où tout le monde gagne, a gagné ou gagnera de l’argent, où tout le monde consomme et produit avant tout des « biens culturels » - notez cette juxtaposition, je vous prie – où tout le monde pense que la morale est une « question de choix individuel », ou tout le monde pense que l’homme n’est soumis qu’à ces propres lois, ou tout le monde pense que tout le monde a des « droits », et les mêmes de surcroît, bref, pour le Bourgeois de notre époque incomparable, pour le Bourgeois-de-classe-moyenne-universel, c’est toujours l’autre le Bourgeois.
Notre époque se hait, et déjà se méprise, avec raison. Le Bourgeois se déteste, et se snobe. Nous nous éxécrons les uns les autres.
Car nous ne voyons en l’autre que l’image réticulaire de nous mêmes, nos différences ontologiques sont niées par la métaphysique de l’égalité et bientôt par les « technologies du vivant » - notez cette juxtaposition, je vous prie – et bien sûr cette indifférenciation générale produit son lot de vipérins avortons expulsés en masse par nos cerveaux malades, parmi eux l’idée que nous pouvons, aujourd’hui, par la seule prétention de notre volonté, donc en se représentant le monde comme une dialectique entre Je et l’Autre, être en mesure de nous abstraire de la matrice de programmation sociale qui est le Monde, ce qui est une pure aberration.
La Matrice Sociale Universelle n’est pas parfaite,  certes, par définition, humaine, trop humaine, elle ne peut prétendre rivaliser avec Celui dont elle a pris la place, et pourtant jamais les sociétés n’auront visé à ce point la perfection. la perfection d’elles-mêmes, comme machineries sociales soi-disant autonomes, et non pas, comme il est inutile de le rappeler, la recherche de la perfection par les hommes qui la composent.
Car qui dit recherche de la perfection pour l’homme, dit mise en place d’une éducation qui privilégie la seule vraie liberté humaine, celle de se soumettre à Dieu, car seul un homme libre peut remettre sa liberté à une souveraineté plus haute, et à la plus haute des souverainetés. Seul un homme libre peut s’en remettre au Christ, au Dieu vivant, pour s’affranchir de la mort. Car il faut être libre pour s’agenouiller devant un Dieu crucifié par et pour les hommes.
Aussi un homme libre ne peut se résoudre à n’être qu’une machine pensante, une « machine cognitive » comme disent les universitaires de lAn 2000.
Un homme libre est par définition l’antithèse du Bourgeois terminal que nous sommes tous devenus, en ce début de XXIe siècle, un homme libre ne désire pas être un produit de la Technique comme les autres, il refuse d’être « administré » comme du « capital vivant », il se met au travers de l’asservissement général, en oblique par rapport à la tension  qu’induit la division infinie du travail, il reste insoumis au régne absolu de l’Homme sans Dieu.
Il est donc chrétien.
Et dans le cas qui nous occupe, catholique.
Il croit en la Sainte Économie Divine, et non pas en la démoniaque économie marchande, ce « spectre » vaudou auquel même le marxisme voua un culte imbécile, il croît donc aux Miracles, il croît aux apparitions de La Salette, au grand désespoir des catholiques francais de son temps, déjà contaminés par le poison rationaliste, et sous les quolibets des autres écrivains de sa triste époque, le plus souvent républicains bons teints, ou bien socialistes ou, dans le « meilleur des cas », positivistes, quand ils n’ont pas sombré dans la théosophie et l’occultisme spirite.
Il va consacrer des années de sa vie à tenter, en vain, de faire canoniser Christophe Colomb par une Papauté sourde et aveugle aux manifestations de la Grâce, et déjà prête à se laisser corrompre par le modernisme idéologique, pour se transformer en congrégation protestante de plus.
Cela Léon Bloy le voit, il le sait. Religio depopulata : il invoque les Saintes Écritures et la foudre vous tombe sur la tête lorsque, un siècle après que sa voix eut résonné dans le silence stupéfait qui rive l’incompréhension à la bêtise, vous examinez l’état des lieux dans la communauté catholique d’aujourd’hui. En un éclair vous comprenez la prédiction de cet entrepreneur en Démolitions qui, comme toutes les prédictions prophétiques, s’appuie sur la science scripturale : Les derniers Papes seront ceux qui causeront, ceux qui planifierons la désertification des églises, et la chute de la religion catholique elle-même.
Le modernisme humanitaire avait besoin, dès le XIXe siècle, de faire taire cette voix discordante et réactionnaire qu’était l’Église de Rome alors qu’on réglait, en Occident tout du moins, le concert enchanteur des peuples et des nations en route vers l’avenir du progrès humain. L’église catholique de l’époque avait alors, par à-coups, tenté de répliquer à l’incroyable prolifération des sciences et des techniques que le libéralisme bourgeois favorisait, par quelques encycliques mal fagotées qui ne répondaient plus aux abîmes que la Technique marchande ouvrait sous les pieds de l’Homme. Très vite l’Église fut submergée par les opinions démocratiques de toute la société, elle tenta d’esquiver les coups, et tout aussi vite, elle se trouva piégée dans les mauvaises dialectiques que l’ennemi avait installé tout autour d’elle.
Elle tenta une dernière fois de répondre sur le terrain de l’adversaire, après qu’une première boucherie générale eût pourtant consumé les rêves grandioses du progrès humain, mais comme, fort étrangement, le socialisme sortait grand vainqueur de l’épreuve qu’il avait suscitée dans sa ferveur nationaliste, pour le catholicisme, cette guerre civile européenne que fut la Première Guerre Mondiale ne fut ni plus ni moins que le début de la fin. Le processus allait se voir intensifié d’autant plus après la Seconde Guerre Mondiale, continuité par l’absurde et la démence criminelle de cette Guerre Civile européenne qui avait commencé en 14, il allait aboutir au Concile de Vatican II, soit à l’autodissolution de l’Église catholique par l’Église catholique, à l’extermination de la foi catholique, en douceur, sans même lui donner l’occasion d’établir contre la démocratie universelle un véritable martyrologue.
 Déjà, en 1900, Léon Bloy prévoyait la funeste évolution post-concilaire des années soixante et soixante-dix : la « modernisation des mentalités », qui provoqua la fin de la foi et de l’Église Romaine, ne résulterait pas d’un affrontement frontal entre celle-ci et l’idéologie techno-économique, mais en la progressive dissolution, de l’intérieur, de la première, au bénéfice du simple et terrible pouvoir dissolvant, désormais sans plus la moindre contrainte, qu’est la seconde.
En 2003, il est devenu impossible de trouver un prêtre pouvant vous parler des trois conditions nécessaires au salut, les Églises sont le théâtre de spectacles d’expression corporelle et de défilés de pancarte contre la mondialisation, il est impossible de différencier le langage d’un Lustiger (je ne parle pas des Gaillot et consorts, qui ont déjà institutionnalisé la dévolution interne de la Sainte Église) de celui de la première secte protestante ou new-age cool venue.
On comprend mieux pourquoi des populations entières se soient alors converties au bouddhisme, à la Golden Dawn, au trotskisme, à l’Islam, à Raêl, à l'internationale Situationniste ou aux Dieux du Foot-Ball, il semble en effet y avoir plus de liturgie dans les combats de gladiateurs des grands stades modernes, ou dans les luttes intestines aux avant-gardes esthético-politiques, que dans les rites désacralisées de l’Église post-concilaire qui ont officialisé, au coeur même de l’Office, l’auto-dissolution du catholicisme : plus de langue sacrée – interdiction du latin (il faut le faire !) ‑, messes en langues profanes ne respectant plus le Missel Romain, Eucharistie bidon puisque la Messe n’est plus un sacrifice depuis les années soixante, prêtre officiant face au public, comme un simple pasteur presbytérien, etc, etc.
Aujourd’hui on imagine assez bien les épithètes qu’on verrait fleurir sur le fumier de la Presse et de l’Opinion libérales et socialistes  ‑ et la multitude effrénée de toutes leurs chapelles autonomes, rivales, et même en guerre les unes contre les autres, incapables de dégager un principe unique et fondateur, très antique preuve de l’hérésie déjà mise en lumière par Saint Irénée de Lyon ‑, oui, on imagine assez bien la nature pestilentielle de ces borborygmes qu’on aurait vus flottant mollement à la bouche de leur séides, tels des étrons à la surface d’un bain de siège sémantique aux émanations tout-à-fait irrespirables, sous la coupole grise et marbrée d’infections de ces Water-Closets en forme de Monde où l’écho de leur bavardages logorrhéiques se perd, d’où il provient, où il retourne, on imagine assez bien, donc, la consistance visqueuse et purulente des slogans adjectivaux proférés à l’encontre de sa personne, si la Providence avait voulu que Bloy, tel quel, fut né vers 1950 ou 1960 plutôt que 1846, et que ses premiers textes soient publiés de nos jours. Intégriste, réactionnaire, fasciste, raciste ? Allez savoir.
Pour peu qu’on revendique haut et fort son attachement à une certaine lignée de penseurs et d’écrivains, comme par hasard tous chrétiens romains, la menace n’est pas loin qu’un supplétif racé des surveillants du grand Parc-à-Thèmes bioculturel, modèle dobermann de journal, qu’on reconnaît grâce aux jappements caractéristiques qu’il produit avec la régularité automatique et glacée d’une oeuvre d’art contemporaine– dans un timbre de pet foireux – et qui animent périodiquement la litanie neuroprogrammée de la foule devenue souveraine, vous accuse d’être un collaborateur dans l’âme, un pétainiste qui, au mieux, s’ignore, puis qu’un Comité d’Épuration de la Nouvelle Société Démocratique Universelle vous fasse connaître, par huissier de justice accompagné de la Maréchaussée, sa sentence.

Il faut donc, encore et toujours, oser nommer le danger, oser identifier la dangerosité extrême des écrits de Léon Bloy, 85 ans après sa mort. Il faut prendre toute la mesure de la menace qu’il fait peser sur le monde de la Bourgeoisie, sa métaphysique  pour commencer : car la métaphysique du Bourgeois est celle du Néant, sa métaphysique est un syncrétisme néo-gnostique paré de toute la quinquaillerie philosophique du XVIIIe siècle (mais peut-on parler d’une philosophie du XVIIIe siècle ?); dans le monde de la Bourgeoisie Universelle toutes les métaphysiques sont produites par la seule mécanique organisationnelle du monde, toutes les transcendances sont rapportées à l’immanence horizontale du soi-disant « monde objectif », sur lequel la Bourgeoisie assoit son emprise, et en contrepartie, parce que toutes les valeurs de la Bourgeoisie sont désormais celles du « renversement des valeurs » nihiliste, toutes les subjectivités deviennent objectives dans un Monde qui devient simplement le Processus de la Publicité Générale, le Processus où la métaphysique devient monde objectif, et où les subjectivités « individuelles » deviennent les seules sources et destinations de la transcendance immanente au monde objectif. Le piège gnostique s’est refermé sur l’homme du XXe siècle, sur son langage, sa pensée.
C’est pour cela que la dangerosité de Léon Bloy n’est pas feinte, il ne s’agit nullement ici en effet de ma part d’un jugement esthétique, d’une appréciation littéraire, du fruit d’une reflexion critique sur son oeuvre, Bloy lui-même n’avait que faire de ces catégories de la pensée bourgeoise cultivée. Pour lui, l’essentiel était le Catholicisme. Sa prose n’a pas eu d’autre  ambition que d’enflammer la Cité Moderne, la Cité Républicaine et Laïque, par le feu grégeois de son verbe, dont il savait qu il lui fallait d’abord le taire, pour que s’inscrive en lui l’ardente lumière du Verbe divin.
Bloy ne prétendait aucunement maîtriser le Langage, à l’inverse des armadas de crétins qui, hier comme aujourd’hui, commettent en toute impunité ces crimes hideux contre la pensée. Il savait qu’on ne peut rien faire d’autre que, dans le meilleur des cas, se mettre à Son Service et que le vocabulaire – qui chez lui s’apparente à un authentique arsenal linguistique – n’est rien s’il n’est pas fait de l’acier dont on forge le Glaive de la Vérité.
Et de Vérité, faut-il le rappeler, il n’y en a qu’Une, bien sûr.

Comme tous les authentiques dandys de la littérature francaise, tel Barbey d’Aurevilly, ou Ernest Hello, qu’il côtoya longuement tous deux, Bloy était pauvre, et chrétien. Ou dirais-je pauvre, car chrétien ? Car dans le monde de la Bourgeoisie Industrielle triomphante, la seule aristocratie concevable, la seule noblesse possible ne consiste pas à imiter Châteuabriand ou Lamartine, ni toute cette infâmie qu’on nomma la noblesse d’Empire, la seule alternative décente, la seule ligne de fuite pouvant conduire à un autre horizon destinal que l’asservissement général à la marchandise et à la Grande-Mère Technique, la seule porte de sortie valable réside dans les valeurs chrétiennes les plus antiques, les plus traditionnelles, dans la foi catholique, et dans une inévitable pauvreté économique (y comprise au sens relatif, Barbey d’Aurevilly n’était pas exactement misérable, mais il est mort sans laisser d’héritage financier notable, car il ne gagnait que fort peu d’argent), conséquence de ce que l’Argent, le Sang des Pauvres, est désormais propriété du Bourgeois d’affaires ou d’administration et qu’il n’est plus, du coup, le symbole vivant du Verbe incarné, maintenu comme tel par une hiérarchie écclésiale et politique dévouée à Son Service.
Pourtant Bloy ne cesse d’insister là-dessus : L’Argent, en dépit des manipulations que la Bourgeoisie (concue comme néo-typologie humaine) lui impose, en dépit de son détournement diabolique (dia-bolein, la Technique est une opération ontologique, une opération de division dynamique infinie), ou plutôt en dépit du fait que la Bourgeoisie est parvenue, grâce à son Pacte avec la Technique Séparée, à créer un Monde dans lequel la face matérielle de l’Or est intronisée Démiurge, en dépit du fait que le faux monde que la technique bourgeoise a élaboré est précisément concu à partir de cette vision démiurgique et crypto-gnostique de l’Homme, que le XVIIIe siècle aura imposé à une Église déja impotente, l’Argent, donc, en dépit de tout cela, reste, de facon immuable, par-delà les murs du sommeil de l’hypnose générale, le paradoxal symbole concret du Corps du Christ.
C’est que le faux monde de la bourgeoisie, presque analogue à celui des Manifestations Divines (mais seulement presque) peut bien s’intercaler entre ces dernières et nous, à la manière d’un .écran quadridimensionnel,  de toute l’apparente puissance que des forces occultes lui ont prodiguées, il n’en reste pas moins que le seul Monde Réel, le Monde de la Création, persiste, immuable, de l’autre côté de l’écran, en cohérence avec ses propres Lois, qui continuent d’articuler en secret les dialectiques oiseuses ayant remplacé dans nos crânes les antiques constellations, car de tous temps ces Lois leur ont été supérieures, transcendantes, transfinies. Le Diable n’existe qu’en tant qu’Illusion Suprême, car si Ange il a été créé, Ange il reste, mais Ange déchu dans l’Ordre de la matière, donc simple spectre, dont les seuls pouvoirs proviennent de tous ceux que l’Homme, sa proie, son écologie, lui concède, en échange de la même illusion dont cependant Satan reste le maître.

Voici donc pourquoi votre fille est muette, voici pourquoi Léon Bloy est vivant :
Léon Bloy est vivant parce que la Mort n’existe pas.
Peu lui importe, je crois, de savoir que ces livres seront à nouveau lus par une clique de journalistes culturels en panne d’icônes vachement tendance ni que des oxymorons sentencieux fleurissent  autour de sa tombe, redécouverte par quelque magazine littéraire sous la mauvaise herbe des idéologies, et la rouille du siècle. Peu lui importe, j’en suis sûr, les jugements d’une critique bourgeoise dont il disait ceci, dans son éxégèse CLXX, la critique est aisée mais l’art est difficile : « Je ne suis pas sûr que le Bourgeois se ferait couper en morceaux pour soutenir que l’Art est difficile, mais je sais qu’il veut que la critique soit aisée, et même la chose du monde la plus aisée… et si jamais un critique fut à son aise, n’est ce pas lorsque la Providence lui accorda de déposer son crottin sur l’auteur de ces humbles pages ? »
Peu lui importe, en effet, de croiser, par une tragicomique fatalité de l’Histoire, la même race de cuistres pédants et de ruminateurs stériles que celle qu’il supporta du mieux qu’il put « de son vivant », car puisque précisément il est vivant, il assiste en même temps à l’incroyable miracle que sa littérature opère dès maintenant sur l’esprit de quelques explorateurs inconscients, ou tempéraments téméraires, qui ont crû qu’en empruntant avec lui le Sentier qui mène à la Montagne Terrible, on ne risquait pas grand chose, et en tout cas pas le plus important.
Le Golgotha, c’est le contre-pôle christique du Sinaï. Sur l’un, Dieu descendit sous la forme d’un buisson ardent et donna aux hommes le Langage de la Loi., il leur ouvrit les portes du Logos, mais leur fit conserver un Voile occultant le Saint des Saints.
Sur l’autre, Dieu retourna au Ciel sous la forme du Christ ressuscité dans Sa Gloire, le Voile du Temple en tomba, déchiré, le Logos fut depuis lors le plus grand risque jamais pris par Dieu au sujet de l’Homme, et le plus grand risque jamais pris par l’Homme au sujet de Dieu.
À l’heure où j’écris ces lignes, alors que ma faim et ma soif demeurent toujours inassouvis, alors que j’erre dans un Monde non seulement sans Dieu, mais sans plus la moindre Église, je parle ici d’une institution sacrale et métapolitique capable de continuer à donner un sens à l’Homo Universalis plongé dans l’Abîme de la Technique, Dieu soit loué il reste encore les traces matérielles du christianisme romain : les églises, les nefs, les vitraux et les icônes de la Vierge Marie, alors donc qu’on a fait de moi, comme Joyce le disait à son propos, un catholique errant, je sais fort bien pourquoi j’ai la preuve que Bloy est vivant : si une poignée de livres sont capables, à un siècle de distance, d’embraser la conscience d’un homme qui ignorait alors jusqu’au premier atome de Vérité Principielle, et qui bien sûr l’ignorait, si ces livres, parce qu’ils sont bien le face à face de deux esprits par delà l’espace et le temps, ont pu transporter le Feu du Logos d’un cerveau à un autre, alors il faut bien se rendre à l’évidence qu’aucun de ces cerveaux ne peut se prétendre plus vivant que l’autre, ou plus exactement : que si l’un peut effectivement prétendre à ce titre, ce n’est pas celui auquel on pense d’un premier abord.

Montréal, le 6 juin 2003

Maurice G. Dantec


Maurice G. Dantec

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire